J'avais fui le spectacle de la mort de mon père, une lâcheté à l'égard de ma famille plus que par rapport à lui, mais un dernier tête à tête aurait sans doute été impossible. Et si je l'ai pleuré, étonnamment je me suis tout de suite senti "quitte". Sa mort est le silence qu'il me donne à vivre, son absence toujours marquée par quelques lectures, par des musiques, des pensées... Des photographies...
Sans omettre avec une courtoisie saugrenue de me rappeler à mes autres morts, qui savent si bien entre eux se rendre la politesse, nous obligeant en passant à une petite pensée pour la nôtre, la seule vraie ?
La pire ; en ce qu'elle est inexprimable. Celle qui appartiendra à qui voudra en tenir compte. On n'existe que dans ce qu'on laisse, de sa merde à ses cendres, et pourquoi pas entre-temps à travers quelques œuvres.
À l'époque du trépas paternel, je travaillais à une grande peinture bleue qui allait me servir de fond devant lequel je photographierais mes modèles ... J'eus besoin de mettre la camarde en images, la tentation de me l'approprier, peut être aussi de m'en moquer, de la narguer, en tout cas de m'en détacher ; simplement la vivre. Vivre tout le refus inutile qui accompagne et voudrait s'opposer à son absurdité. Mais l'absurdité était un plaisir partagé avec mon père et, bien que convaincu que cette série de nues lui aurait déplu, je décidai de me consoler par une séance avec un modèle qui épouserait les traits et les attraits d'une : "veuve joyeuse" !
Deux de mes égéries du moment jouèrent ce rôle, je ne sais plus si je me m'en expliquai avec elles ou si je leurs soumis l'idée, comme une fantaisie improvisée, de poser ; masquée d'un foulard noir, attaquée par un serpent et convoitée par un olisbos, pour l'une ; vêtue d'une chemise noire ayant appartenu à mon père et de bas, en abîme sur un miroir au sol pour l'autre ... Je ne supposai pas non plus que ces images ressortiraient sous forme d'obscénités retravaillées à l'ordinateur ou grattées et peintes.

Je n'en voulais qu'à la "putasserie" de la mort.